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Ecrire en marchant ou marcher en silence

A la sortie de ces Olympiades 2014, la phrase de l'alpiniste L. Lachenal "La gloire ne devrait jamais être qu'une affaire privée" nous ramène aux sportifs aux triomphes peu modestes et aux médias qui prennent une performance sportive pour un événement.

Dans une autre catégorie, des J.-C. Ruffin, J. Lassalle ou A. Kahn écrivent, restituent ou analysent leurs marches dont le kilométrage impressionne leurs thuriféraires. Ruffin a écrit sur sa marche vers Saint-Jacques : "Comment expliquer que le Chemin a pour effet de faire oublier les raisons qui ont amené à s'y engager ? On est parti, voilà tout." Voilà tout ? Pas vraiment puisqu'un bouquin et une bonne promotion ont suivi.

A. Kahn est interviewé ce 26 mars pour un livre énonçant ses pensées produites au cours d'une randonnée traversant la France. Kahn raconte qu'il a découvert une France agricole qui résiste et une autre industrielle en déclin, tel un Hollande ouvrant les yeux sur la réalité. La marche peut être belle comme vécu personnel, parfois moins comme produit d'édition. Les individus que Kahn couche dans ses écrits entre Ardennes et Pays Basque sont-ils le produit de sa réflexion ou une réalité qu'il a tardé à appréhender ?

Le marcheur peut aussi produire des livres dont le sujet n'est pas sa marche. D.Schneiderman a publié Terra Incognita.net en 2013 dont la genèse est venue de ses pérégrinations : "Cet été, je suis parti marcher en montagne. Ce sont des moments, quand le pas se fait régulier, où montent en soi quelques questions, parfois essentielles, et parfois totalement futiles."

Il existe aussi le cas du marcheur avec traineau et chiens, N. Vannier, qui raconte en direct, par téléphone, son épopée vers le lac Baïkal et sa proximité avec ses animaux et qui veut exposer la beauté sauvage ou la sévérité de la nature qu'il croise.

Marcher tout simplement

Aujourd'hui certains randonneurs randonnent donc avec tablette ou mobile pour se photographier, écrire leur réflexion et préparer leur produit d'édition. Avant de passer à la promotion dans les médias de leur marche et de leurs réflexions de marcheur. Tel l'abonné Facebook publiant sa dernière expérience ou production physique ou intellectuelle. Ces marcheurs-auteurs sont comme le Jean-Jacques du sketch de J. Commandeur qui publie qu'il mange et finit un paquet de biscuits.

La marche est un plaisir individuel et peut se pratiquer sans contrat avec un éditeur ou un sponsor ou sans abonnés sur réseaux sociaux. Les guides de montagne, qui sont parfois assez taiseux, repèrent les clients qui parlent trop pendant la montée au refuge. Ils savent que parler peut couper le souffle. On peut donc marcher sans divulguer ses pensées. Il faut être parti tôt d'un refuge de montagne, somnolent, irritable et excité, grommelant et silencieux, attentif au glacier qui crisse sous les crampons, cherchant le paysage à la lumière des frontales, attendant le lever du soleil, pour apprécier que la marche et la pensée qui l'accompagne, peuvent rester discrètes, secrètes, celées.

Et l'écrire dans un billet, même avec peu de lecteurs, est déjà la trahison de ce silence.

arnaud delebarre

27 mars 2014

Tag(s) : #Société
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