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Dans l'interview donnée aux Echos publiée le 15 août "Alain Fuchs : «Le paysage universitaire français devrait enfin s'éclaircir»", le président de la ComUE  Paris Sciences et Lettres (PSL) déclare que les classements "sont importants, lus, regardés par des décideurs politiques, par les entreprises, par des étudiants et des universitaires internationaux. Shanghai est un passage obligé" et que ces classements "ne sont pas une fin en soi, mais c'est la moindre des choses de faire en sorte d'y figurer si on le peut".

Le prestige invisible de la France

On peut toutefois ne pas l'approuver quand il déclare que "les universités françaises ne sont pas plus mauvaises qu'avant" et constater qu'au contraire la France recule au classement de Shanghaï. M. Fuchs aurait déclaré, selon la phrase illustrant son portrait, "On est en train de bâtir une université en réunissant des établissements prestigieux mais petits, pour que l'ensemble soit visible à l'international". M. Fuchs invente le "prestige invisible" !

La taille qui rend visible ?

La taille rendrait donc visibles les établissements d'enseignement et de recherche. Pourtant ceux du classement de Shanghaï qui squattent les premières places de manière régulière sont, comme le dit M. Fuchs, des universités souvent privées, anciennes et très riches, et ne cite pas leur taille comme une raison de leur succès. Leur taille n'a d'ailleurs rien d'exagérée : les effectifs étudiants des 5 premiers du classement en 2017 (2018 a les mêmes 5 premiers), en distinguant les étudiants "undergraduate" des "graduate", étaient :

1. Harvard : effectifs UG 6 973 ; effectifs G 14 287 (dont 27% "internationaux")

2. Stanford : effectifs UG 6 564 ; effectifs G 9 297 (dont 33% "internationaux")

3. Cambridge : effectifs UG 12 221 ; effectifs G 5 647 (dont 61% "internationaux")

4. M.I.T. : effectifs UG 4 199 ; effectifs G 6 065 (dont 39% "internationaux")

5. Berkeley : effectifs UG 25 040 ; effectifs G 9 628 (dont 18% "internationaux")

Plus remarquable que le nombre total d'étudiants, celui des étudiants en cycle Graduate qui est parfois supérieur à celui des Undergraduate. La ComUE PSL que préside M. Fuchs revendique 17 000 étudiants. Le nombre d'étudiants de PSL est effectivement de l'ordre de grandeur des meilleurs du classement de Shanghaï, tandis que nombre de ComUE et/ou d'universités françaises ont des effectifs étudiants plus conséquents.

Les ComUEs sont-elles éligibles aux classements ? Le statut est-il un argument ?

L'obsession des ComUE et des groupements d'établissements français est de convaincre les opérateurs des classements de les classer, au lieu de classer leurs composantes. Ce qui est souvent, pour le moment, refusé. L'actuel président de PSL évoque l'obtention récente du statut d'EPSCP (établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel) par la ComUE et un futur statut de Grand Etablissement à faire valoir auprès du classement de Shanghaï, tandis que le président précédent de PSL (M. Coulhon) affirmait que l'argument de son statut ne devait pas être, puisqu'il ne se posait pas pour Cambridge ! Plus que le statut, c'est la légitimité à être classée comme établissement qui est contestée par Shanghaï. Et que les ComUEs s'octroient le label d'université ne suffit pas à les faire passer pour telles. Par exemple, PSL "Université" est un agrégat disparate de 9 membres* et 10 associés**, écoles ou universités ou instituts, sans compter trois organismes et deux partenaires ! Par ailleurs, les composantes "petites" et "prestigieuses" vont-elles se laisser exclure des classements ?

Le classement de PSL peut-il être dopé par le prestige de ses composantes ?

Deux points sont en effet en suspens : (1) les composantes d'une ComUE seront-elles exclues du classement pour que leur maison mère puisse l'être; (2) si c'est le cas, la ComUE sera-t-elle mieux classée que ses composantes ne l'étaient ?

(1) D'une part, on voit mal le classement de Shanghaï classer à la fois les ComUEs et leurs composantes en comptant plusieurs fois les mêmes Nobel et Fields ou les mêmes publications dans Nature, au crédit des filiales et de la maison mère.

(2) D'autre part, les ComUE récupèreront-elles le prestige de leurs composantes ? En 2016, le Président de PSL anticipait que PSL figurerait dans le classement du Times Higher Education (THE) à la 39e place, c'est-à-dire devant l'ENS, une de ses composantes classée dans le top 100. Pourtant le classement "World University Ranking" du Times Higher Education classe en 2016 l'ENS à la 54e, puis 66e en 2017, tandis que la ComUE PSL pointe à la 72e place en 2018 (l'ENS n'y figurant plus). Le prestige de la partie d'un ensemble ne rejaillit donc pas nécessairement sur l'ensemble.

Par ailleurs, on trouve en 2017 PSL dans le palmarès "World Reputation Ranking" du THE à la 38e place, avec des données non révélées, signalées par un discret n/a (comme si PSL avait été classée sans les fournir). Mais ce "World Reputation Ranking" est fort différent du "World University Ranking", et n'a pas sa valeur. En effet, le THE a créé plusieurs palmarès, tout comme le classement de Shanghaï a récemment créé des palmarès dans 54 spécialités qui permettent à plus d'universités de triompher et de compenser la déception générée par leur place dans le "vrai" classement de Shanghaï. Et la multiplication des classements permet de multiplier les communications glorieuses !

 

En résumé, les ComUEs comme PSL aimeraient un prestige que leur jeunesse et leur peu de faits d'armes leur refusent. Sans attendre, elles veulent utiliser les classements pour ce faire, en s'appropriant le prestige de leurs composantes. Pourtant, à l'instar de Groupes industriels qui ont leur propre prestige, parallèlement au prestige des marques qui les composent, les ComUEs pourraient bâtir leur identité sans user des classements qui ne leur sont pas dévolus.

 

arnaud delebarre

13 septembre 2018

 

* Les membres élaborent une stratégie unifiée en recherche, en formation et en valorisation. Ils construisent un budget commun. Ils mettent en œuvre un plan pluriannuel de recrutement académique mutualisé. Ils se dotent de services partagés pour mieux remplir leurs missions. Ils sont d'accord pour placer tous leurs diplômes, Licence, Master, Doctorat, sous la bannière PSL. Ils développent ensemble des partenariats stratégiques internationaux.

** Les associés sont liés à l'université intégrée par un partenariat exclusif. Ils contribuent aux classements internationaux de l'Université PSL. Ils ont accès à la diplomation de l'université et peuvent participer à divers projets en recherche, en formation et valorisation dans le cadre défini par le Conseil des membres.

Tag(s) : #Classement, #Shanghaï, #Université, #Fuchs, #Compétition, #France, #PSL, #COMUE, #Times Higher Education
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